Le papier est (peut-être encore) la meilleure plateforme

À défaut de publier sur mon blogue ces temps-ci, je publie sur le bon vieux papier. Voici un texte publié dans le Feliciter, la revue de la Canadian Library Association. C’est un numéro sur les technologies émergentes en bibliothèques sous la direction d’Amy Buckland et Amanda Etches-Johnson.

Livres numériques : Le papier est la meilleure plateforme, Feliciter  Vol. 56 no. 5,  2010 p. 207 à 209

À moins que vous ne dormiez sous une roche durant les dernières années, vous êtes probablement au courant que le livre numérique est le sujet de l’heure dans le monde du livre. On ne peut pas passer une journée sans entendre parler de la popularité croissante du nouveau format auprès des lecteurs. Évidemment, ces discussions sont accompagnées de nouvelles sur les différents appareils disponibles pour faire la lecture. On n’a qu’à penser au Sony Reader, au Kindle d’Amazon ou à l’iPad d’Apple pour n’en nommer que quelques-uns. Comme nous sommes aux balbutiements du marché, il y a beaucoup de discussion à propos du meilleur appareil pour répondre au besoin du lecteur. On compare les différents appareils pour affirmer que les écrans à encre électronique fatiguent moins les yeux, qu’un certain modèle d’appareil supporte le format normalisé EPUB tandis qu’un autre utilise un format propriétaire. Cependant, ces discussions ne tiennent pas compte de la question primordiale quand vient le temps de choisir un livre : est-il disponible et où puis-je me le procurer?

À l’heure actuelle, on assiste à la naissance de différentes plateformes pour la diffusion des livres numériques et l’accès à ces livres. La plus connue est celle qui se taille la part du lion sur les marchés, à savoir le Kindle. Le modèle d’intégration verticale déployé par Amazon avec son écosystème Kindle est une belle démonstration d’un modèle de diffusion et de distribution pour l’accès au livre numérique. Cependant, l’environnement Kindle s’apparente beaucoup plus aux mesures que les compagnies de téléphones cellulaires prennent pour faire en sorte que nous demeurions des clients, soit un contrôle serré sur le réseau utilisé, un choix limité d’appareils et de la difficulté à changer de fournisseur. Ce modèle n’assure ni la pérennité de la bibliothèque personnelle ni la flexibilité dans les droits de transfert que confère normalement l’acquisition de livres sur support papier.

En fait, là réside tout le problème avec les livres numériques. Les éditeurs font affaire avec des revendeurs qui assurent un contrôle sur le contenu à l’aide d’une plateforme numérique. L’utilisateur doit choisir les livres qu’il souhaite lire en fonction des possibilités que lui offrent les différentes plateformes. Si un lecteur sélectionne le Kindle, il peut acheter un appareil dédié ou télécharger une application sur un appareil mobile pour consulter son contenu. Le même type de choix s’offre à lui s’il fait son achat à la boutique de Kobo ou au magasin Sony. Évidemment, certains pourront affirmer que l’iPad a le gros avantage de pouvoir combiner toutes les différentes plateformes offertes sur le marché avec des applications différentes pour chacune des plateformes. Il faut toutefois se demander si on peut affirmer sérieusement que l’iPad existera d’ici quelques années.

Un des aspects du livre numérique qui pose problème est le fait que les détenteurs des droits appliquent une conception de fichier-objet au livre numérique pour maintenir les mêmes contrôles que sur la version sur support papier. De là découle l’idée qu’on doit appliquer un contrôle numérique sous la forme de verrous (dans le cadre du système de gestion numérique des droits). Ces mécanismes artificiels de contrôle éliminent à la fois certains avantages du livre physique auxquels on est habitué, notamment la possibilité de prêter un livre, mais aussi et surtout les avantages reliés à la mobilité du numérique. Pourquoi faut-il que ce soit les lecteurs qui doivent perdre au change dans l’expérience du livre, et ce, au profit de la sécurité d’esprit des éditeurs et des détenteurs de droits?

Selon moi, il est encore très facile d’argumenter en faveur du livre sur support papier comme technologie parfaite pour la lecture dans ce contexte. Oui, il s’agit d’une technologie parfaite, car le livre physique a le gros avantage de pouvoir conjuguer le support avec le contenu et la gestion des droits. En effet, les quelques questions qu’on devait se poser avant d’acheter un livre étaient plus de nature esthétique, portant sur le format (notamment le choix entre format régulier et livre de poche, livre relié ou broché). Je n’avais pas à me demander si le titre était disponible dans un format que mon lecteur supportait. Je n’avais qu’à choisir entre l’acheter ou, encore mieux, l’emprunter à la bibliothèque. Pour ce qui est de la gestion des droits d’auteur, il y a bien longtemps qu’on n’a pas craint les imprimantes comme source de reproduction illicite.

La vraie question qu’il faut se poser quand on parle d’une transition vers le livre numérique est ceci : avons-nous vraiment besoin d’un fichier numérique pour lire un livre? Pensez-y : un texte présenté de façon linéaire doit-il nécessairement être manipulé comme un objet? Ne devrions- nous pas mettre fin à cette conception du livre et nous concentrer plutôt sur l’élément de base qu’est la lecture?

En juin 2010, Hugh McGuire a affirmé sur Twitter que l’avenir du livre était dans sa fusion avec le Web. Selon lui, d’ici 5 ans, le Web et le livre ne feront qu’un. J’aime beaucoup cette idée, car le Web, pour moi, est lié à un sentiment de liberté et d’accès universel. Je peux aussi contrôler l’accès à certaines parties d’un objet, tout en permettant aux moteurs de recherche de le récupérer, et ce, sans me casser la tête pour en indexer le contenu.

Une plateforme de livres numériques offre une intégration verticale en conjuguant la sélection de livres, le processus d’achat, le contenu que nous sélectionnons et l’appareil dont nous nous servons pour lire. Par le passé, nous avions l’habitude de nous procurer des livres sur support papier. Que nous les obtenions dans une librairie ou une bibliothèque ou par tout autre moyen, une fois dans nos mains, il n’y avait plus de problème à avoir accès au livre. La seule manière de résoudre les trois grandes difficultés actuelles liées aux livres numériques, soit les formats de fichier, les appareils et la gestion des droits d’auteur, est d’aborder des livres numériques comme s’ils étaient des sites Web.

C’est pourquoi le projet Google Editions sera probablement un facteur de changement dans notre conception d’accès à la connaissance, au savoir et à la culture sous forme de livres. Le peu que nous savons sur le projet nous indique qu’il sera au début un modèle semblable au Web. Ce n’est pas surprenant, étant donné que Google favorise des technologies Web qui sont ouvertes et normalisées d’une manière qui permet à Google de vendre de la publicité contextuelle.

En terminant, je vous demanderais de contredire toute personne qui vous dira que le livre sur support papier est mort. L’histoire nous a démontré qu’aucun médium n’a éliminé ses prédécesseurs. Il y aura probablement une diminution dans le nombre de livres imprimés, et les bibliophiles deviendront peut-être un jour des collectionneurs avec une saveur d’antiquaire de la même façon que les vrais audiophiles collectionnent des disques vinyles. Cependant, tant et aussi longtemps que les avantages du livre numériques n’auront pas fait oublier tous les caractéristiques du livre sur support papier, il y aura des gens qui seront toujours intéressés à se procurer un livre sur support papier.

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